Jeffrey

Qu'on ne s'y trompe pas, Jeffrey n'est pas un énième film comique basé sur un scénario loufoque. Non. Tiré d'une pièce de théâtre, dont l'auteur a transposé le texte pour le rendre possible au cinéma, Jeffrey est une comédie sentimentale homosexuelle. Mais pas uniquement. C'est aussi l'histoire d'un jeune homme aux prises avec les dangers de son temps, dont l'un fait quatre lettres : SIDA.

Jeffrey, jeune homosexuel New Yorkais issu du Wisconsin, prend un jour la décision de ne plus avoir de rapports sexuels. Evidemment, il a à peine pris cette grande décision qu'il rencontre Steve. Le coup de foudre est réciproque... Mais Jeffrey reste sur ses positions. C'est sans compter l'intervention d'un couple d'amis, Darius et Sterling, qui vont tout faire pour jeter Jeffrey et Steve dans les bras l'un de l'autre. Hélas, Steve, comme Darius, est séropositif, ce qui n'arrange pas les choses... Il faudra l'intervention de Mère Thérésa, de voyous, d'un groupe d'obsédés sexuels, de Debra la prêcheuse, d'un drôle de curé... et la mort d'un ami pour que Jeffrey apprenne le bonheur d'une vie amoureuse et sexuelle...

Une histoire de doubles

Le problème de Jeffrey est assez simple en soi : il a du mal à trouver sa place dans une société en plein bouleversement. Et pourtant, il aurait tout pour être heureux : il a la chance d'avoir des parents terriblement compréhensifs, et des amis fidèles qui ne demandent qu'à l'aider.

Ses amis les plus proches sont Darius et Sterling, les doubles de Jeffrey et Steve.
Sterling est décorateur d'intérieur, Darius, danseur. A priori, rien ne les lie, et pourtant ils sont tous deux des artistes. Mais l'un est tourné vers l'intérieur :

Sterling, l'autre, Darius, vers l'extérieur (représenté par la vie mondaine du personnage). L'intériorité qui rapproche Darius de Sterling se situe dans la pièce que joue l'amant : Cats. C'est le seul spectacle de son répertoire, et il compte bien jouer jusqu'à sa mort :
Et oui, je joue dans Cats. Et pour toujours.

Darius est celui qui va partir. Son extériorité le pousse à aller ailleurs, et la mort représente la dernière sortie. Sterling avouera lui même qu'il n'a pas suffi, qu'il n'a pas pu le protéger. Entendons, qu'il n'a pas su l'enfermer pour le garder à l'intérieur.

Steve et Jeffrey sont complémentaires : l'un est barman, l'autre serveur. Dans la hiérarchie hôtellière, Steve est le supérieur de Jeffrey, et il l'est dans les faits. Il est plus réfléchi, il cherche une relation durable, équilibrée et surtout, il connaît aussi bien que Darius, les dangers de ce monde.

Si l'un des couples tente de se former, l'autre est déjà bien installé, et du coup, Sterling représente le double de Jeffrey, apte à conseiller ce-dernier. Il est l'image d'un avenir possible de Jeffrey, qui s'exprime particulièrement dans une scène, lors de l'enterrement d'un conservateur de musée, Sterling et Darius expriment leur relation assombrie par l'ombre de la mort :


Darius : A mes funerailles je veux Liza !
Sterling : Tu n'auras pas de funérailles.
Darius : Dans un million d'années.
Sterling : Tu ne seras pas malade, je croyais avoir été clair.

La dernière scène entre Jeffrey et Steve n'est qu'une répétition de la scène précédente. Mais si dans un cas elle est teintée de mort (l'enterrement du conservateur), prédisant le décès de Darius, dans l'autre, tout, du décor à l'ambiance suggère le commencement, la vie.

En quête de réponses

Jeffrey va accomplir tout un parcours initiatique qui va le mener de sa décision à la prise de conscience que le bonheur vaut la peine d'être vécu.

Il s'adresse d'abord à Sterling qui, en tant que miroir de Jeffrey, possède les réponses. Lorsqu'il dit à Jeffrey en parlant de Darius : "Je ne me voile pas la face", on comprend que c'est exactement ce que le jeune homme est en train de faire. A tel point qu'il ne voit pas que Sterling lui a donné d'emblée la solution à son problème.

Jeffrey rencontre ensuite des personnages en relation avec la religion, et il se persuade qu'ils vont l'aider à y voir plus clair. Mais les deux personnages sont faussés : Mère Thérésa ne lui parlera jamais, se contentant de lui venir en aide (mais toujours trop tard, après qu'il se soit fait renverser par une voiture et qu'il se soit fait agressé par une voiture) et si elle est présente dans la dernière scène, c'est pour se montrer sous un autre jour : elle fume et joue du piano, mettant en relation Sterling (lui aussi fume) et Darius (la musique est liée à son métier).
Le curé catholique est lui aussi en relation indirecte avec les diférents personnages et permet de rassembler d'une autre manière les éléments clefs du film : il établit le lien entre Steve et Darius par le biais de la musique (Steve en écoute quand il va mal, de même quand il imagine une scène dansée), et Dieu, puisqu'il lui est reproché d'avoir permis le Sida. De plus, ce curé est homosexuel et renvoie donc à chacun des personnages. Il apporte également un élément de réponse qu'il formule avec l'image d'un ballon.

En définitive, la dernière scène comporte tous les personnages clefs du films qui auront contribué d'une manière ou d'une autre à l'épanouissement de Jeffrey :

Mère Thérésa  
Sterling (représenté par la cigarette que fume Mère Thérésa)
La musique (qui représente Darius)
Le ballon (représentant du curé)

Orélye Menor